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L’audit citoyen de la dette : comment et pourquoi ?

par Damien Millet, Eric Toussaint

Publie le lundi 2 janvier 2012 par Damien Millet, Eric Toussaint - Open-Publishing
11 commentaires

La question du remboursement de la dette publique constitue indéniablement un tabou. Il est présenté par les chefs d’État et de gouvernement, la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI), la Commission européenne et la presse dominante comme inévitable, indiscutable, obligatoire. Les citoyens et citoyennes devraient se résigner au paiement de la dette publique. La seule discussion possible porte sur la façon de moduler la répartition des sacrifices nécessaires afin de dégager suffisamment de moyens budgétaires pour tenir les engagements pris par la nation endettée. Les gouvernements qui ont emprunté ont été élus démocratiquement, les actes qu’ils ont posés sont donc légitimes. Il faut payer.

L’audit citoyen est un instrument pour lever ce tabou. Il permet à une proportion croissante de la population de comprendre les tenants et aboutissants du processus d’endettement d’un pays. Il consiste à analyser de manière critique la politique d’emprunt menée par les autorités du pays.


Les questions qu’il faut poser

Pourquoi l’État a-t-il été amené à contracter une dette qui ne cesse d’enfler ?
Au service de quels choix politiques et de quels intérêts sociaux la dette a-t-elle été contractée ?
Qui en a profité ?
Etait-il possible ou nécessaire de faire d’autres choix ?
Qui sont les prêteurs ?
Qui détient la dette ?
Les prêteurs mettent-ils des conditions à l’octroi des prêts ? Lesquelles ?
Quelle est la rémunération des prêteurs ?
Comment l’État s’est-il trouvé engagé, par quelle décision, prise à quel titre ?
Quel montant d’intérêts a été payé, à quel taux, quelle part du principal a déjà été remboursée ?
Comment des dettes privées sont-elles devenues « publiques » ?
Dans quelles conditions a été réalisé tel sauvetage bancaire ? Quel en est le coût ? Qui a pris la décision ?
Doit-on indemniser des actionnaires qui sont responsables du désastre avec les administrateurs qu’ils ont désignés ?
Quelle est la part du budget de l’État qui va au remboursement du capital et des intérêts de la dette ?
Comment l’État finance-t-il le remboursement de la dette ?

Il n’est pas nécessaire de pénétrer des secrets d’État pour trouver les réponses

Pour répondre à toutes ces questions – et la liste n’est pas exhaustive, nul besoin de révéler des secrets d’État, d’accéder à des documents non publics de la banque centrale, du ministère des Finances, du FMI, de la BCE, de la Commission européenne, des chambres de compensation comme Clearstream ou Euroclear |1|, ou de compter sur les confidences d’une personne travaillant au sein d’un de ces organismes. Certes, de nombreux documents protégés jalousement par les gouvernants et les banquiers devraient absolument être mis à la disposition du public et seraient très utiles pour affiner l’analyse. Il faut donc exiger d’avoir accès à la documentation nécessaire à un audit complet. Mais il est parfaitement possible de procéder à un examen rigoureux de l’endettement public à partir de l’information présente dans le domaine public. De nombreuses sources sont accessibles à qui veut s’en donner la peine : la presse, les rapports de la Cour des comptes, les sites internet des institutions parlementaires, de la banque nationale, de l’agence en charge la gestion de la dette, de l’OCDE, de la Banque des règlements internationaux (BRI), de la BCE, des banques privées, des organisations ou des collectifs qui se sont lancés dans l’étude critique de l’endettement (cadtm.org, attac.org…), les archives des collectivités locales, les rapports des agences de notation ou encore des mémoires de thésards. Il ne faut pas hésiter à demander à des parlementaires de poser des questions publiques au gouvernement ou à des mandataires locaux de le faire auprès des collectivités locales.

L’audit n’est pas une affaire d’experts

L’exercice de l’audit n’est pas un exercice réservé à des experts. Ils sont évidemment bienvenus et peuvent apporter beaucoup au travail collectif de l’audit citoyen. Mais un collectif peut commencer le travail sans nécessairement être assuré d’une telle participation. C’est en entreprenant les recherches et en provoquant un débat public qu’en cours de route les collectifs s’étofferont et réuniront différentes expertises. Chacun d’entre nous peut y prendre part et se mettre au travail pour mettre en lumière le processus d’endettement public. En 2011, un collectif national s’est mis en place en France pour un audit citoyen de la dette (audit-citoyen.org). Il rassemble de nombreux mouvements sociaux et politiques, et l’appel à sa constitution a été signé par plusieurs dizaines de milliers de personnes. Dans le cadre de cette démarche, des collectifs locaux se sont mis en place un peu partout dans l’hexagone. On peut d’ailleurs partir de réalités locales afin de participer à l’audit des dettes publiques. On peut commencer par analyser les emprunts structurés vendus aux collectivités locales par Dexia ou d’autres banques. À ce propos, un travail est déjà réalisé : l’association « Acteurs publics contre les emprunts toxiques » rassemble une dizaine de collectivités locales (empruntstoxiques.fr). On peut aussi commencer par étudier les difficultés financières rencontrées par les hôpitaux publics présents sur le territoire. Des initiatives pour des audits citoyens se développent également en Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal, en Italie et en Belgique.

D’autres domaines en matière de dettes privées peuvent aussi être abordés. Dans les pays comme l’Espagne ou l’Irlande, où l’éclatement de la bulle immobilière a plongé des centaines de milliers de familles dans la détresse, il est utile de s’attaquer aux dettes hypothécaires des ménages. Les victimes des agissements des prêteurs peuvent apporter leur témoignage et aider à comprendre le processus illégitime d’endettement qui les affecte.

Un champ d’action très riche

Le champ d’action d’un audit de la dette publique est infiniment prometteur et n’a rien à voir avec sa caricature qui le réduit à une simple vérification de chiffres faite par des comptables routiniers. Au-delà du contrôle financier, l’audit a un rôle éminemment politique, lié à deux besoins fondamentaux de la société : la transparence et le contrôle démocratique de l’État et des gouvernants par les citoyens.

Il s’agit là de besoins qui se réfèrent à des droits démocratiques tout à fait élémentaires, reconnus par le droit international, le droit interne et la Constitution, bien que violés en permanence. Le droit de regard des citoyens sur les actes de ceux qui les gouvernent, de s’informer de tout ce qui concerne leur gestion, leurs objectifs et leurs motivations est intrinsèque à la démocratie elle-même. Il émane du droit fondamental des citoyens d’exercer leur contrôle sur le pouvoir et de participer activement aux affaires publiques et donc communes.

Le fait que les gouvernants s’opposent à l’idée que des citoyens osent réaliser un audit citoyen est révélateur d’une démocratie bien malade, qui d’ailleurs n’arrête pas de nous bombarder médiatiquement avec sa rhétorique sur la transparence. Ce besoin permanent de transparence dans les affaires publiques se transforme en un besoin social et politique tout à fait vital, et pour cette raison, la véritable transparence est le pire cauchemar pour les élites.

L’audit citoyen pour la répudiation de la dette illégitime

La réalisation d’un audit citoyen de la dette publique, combinée, grâce à une puissante mobilisation populaire, à une suspension du remboursement de la dette publique, doit aboutir à une annulation/répudiation de la partie illégitime de la dette publique et à une réduction drastique du reste de la dette.

Il n’est pas question de soutenir les allégements de dette décidés par les créanciers, notamment à cause des sévères contreparties qu’ils impliquent. L’annulation de dette, qui devient dès lors une répudiation par le pays débiteur, est un acte souverain unilatéral très fort.

Pourquoi l’État endetté doit-il réduire radicalement sa dette publique en procédant à l’annulation des dettes illégitimes ? D’abord pour des raisons de justice sociale, mais aussi pour des raisons économiques que tout un chacun peut comprendre et s’approprier. Pour sortir de la crise par le haut, on ne peut se contenter de relancer l’activité économique grâce à la demande publique et à celle des ménages. Car si on se contente d’une telle politique de relance combinée à une réforme fiscale redistributive, le supplément de recettes fiscales sera siphonné très largement par le remboursement de la dette publique. Les contributions qui seront imposées aux ménages les plus riches et aux grandes entreprises privées (nationales ou étrangères) seront largement compensées par la rente qu’ils tirent des obligations d’État dont ils sont de très loin les principaux détenteurs et bénéficiaires (raison pour laquelle ils ne veulent pas entendre parler d’une annulation de dette). Il faut donc bel et bien annuler une très grande partie de la dette publique. L’ampleur de cette annulation dépendra du niveau de conscience de la population victime du système de la dette (à ce niveau, l’audit citoyen joue un rôle crucial), de l’évolution de la crise économique et politique et surtout des rapports de force concrets qui se construisent dans la rue, sur les places publiques et sur les lieux de travail au travers des mobilisations actuelles et à venir.

La réduction radicale de la dette publique est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour sortir les pays de l’Union européenne de la crise. Des mesures complémentaires sont nécessaires : réforme fiscale redistributive, transfert du secteur de la finance dans le domaine public, re-socialisation d’autres secteurs clés de l’économie, réduction du temps de travail avec maintien des revenus et embauche compensatoire et tant d’autres mesures |2| qui permettront de changer radicalement la donne actuelle ayant mené le monde dans une impasse explosive.

http://www.cadtm.org/L-audit-citoyen-de-la-dette

Messages

  • Voici le lien d’une vidéo intéressante sur la dette. Le lien renvoie sur la première des 7 parties qui compose le doc (suite dans les autres liens YouTube).

    http://www.youtube.com/watch?v=VaCoI9CFSPQ&feature=youtube_gdata_player

    Et ça évite de perdre son temps à faire un audit puisque toute dette est illégitime !

  • Un RDV utile
    Et si la question de la dette était un sujet facile à expliquer ?
    20, 21 et 22 janvier 2012, week-end de formation
    à LIÈGE (BELGIQUE) - À l’espace Belvaux
    http://www.cadtm.org/Week-end-de-formation-Et-si-la

  • en Une du Monde : http://www.lemonde.fr/idees/article... Rocard sort du buisson sur la dette... C’est dire que la compréhension de la dette commence à avoir des effets sur le moral des troupes !

    • Ce qui est interrogeant à la fin c’est cette énergie dépensée à envoyer le monde sur des voies de garage, ou surtout à faire qu’on ne puisse pas sortir du rail. C’est vraiment faire perdre du temps, empêcher que les vraies questions se posent et ramer à contre sens cette histoire de l’audit, et participer à entretenir des illusions, faire croire qu’il puisse y avoir un capitalisme plus juste et plus social, une bonne "république" qui gomme la réalité de classes et de bons citoyens participatifs en négation de la lutte des classes.

      Non, nous ne voulons pas payer pour continuer à engraisser les plus riches !
      Non seulement nous ne voulons plus continuer à nous serrer la ceinture d’avantage mais nous voulons aussi une véritable transformation sociale, pour que "pour un autre monde" ne reste plus une phrase creuse, de celles dont abuse cette social-démocratie de secours qui ne veut que faire du ravalement de façade.

      Partout dans le monde des voix s’élèvent, et c’est aussi par ce prisme qu’il faut attaquer ce système mondialisé, et reconstruire de l’internationalisme. Cela doit être présent dans les textes d’appels à mobilisation, comme la référence à l’anticapitalisme, en plus de s’appuyer sur des revendications réelles et qui ne soient pas voies de garage ou illusions entretenues pour construire une dynamique réelle de lutte et de mobilisation. Je pense que c’est un réel enjeu dans la mobilisation qui se construit, et qu’il faut axer la construction des collectifs sur des éléments de cet ordre et pas sur la revendication d’un audit.

      Refusons ce baratin de l’audit et construisons des collectifs qui puissent être en mesure réellement de créer de la dynamique de lutte. Faire que 2012 soit une année de luttes et pas de désillusions.

    • Refusons ce baratin de l’audit

      et plus haut :

      ça évite de perdre son temps à faire un audit puisque toute dette est illégitime !

      Un peu lège, non ?

      Ca signifie, je suis, moi, convaincu que la dette est illégitime et il est inutile d’expliquer à ceux qui ne le seraient pas pourquoi il ne faut pas la rembourser.
      Même en Grèce, on éprouve la nécessité d’expliquer avec un excellent documentaire : "Debtocracy" !

      C’est exactement comme de sauter comme un cabri en criant "grève générale" sans prendre le temps patiemment d’expliquer pourquoi il s’agit bien de la solution et comment on peut y parvenir

      Le CADTM a joué un rôle important dans le Tiers monde et contre le FMI . Dernièrement, l’audit de la dette de l’Equateur a permis à ce petit pays une économie de 7 milliards de dollars.

      Quant à entretenir l’illusion qu’un "capitalisme juste " est possible .
      Avec de tels raisonnements, il faudrait renoncer aussi à toute conquête syndicale et sociale forcément d’essence réformiste.

      Tout doit être soumis à la critique, y compris les vidéos intéressantes de Paul Grignon dont il faut remarquer qu’elles traitent exclusivement des banquiers et de l’argent et pas du tout du système de production dans son ensemble, ce qui pourrait faire réfléchir les marxistes.

      une critique ici : http://npa69.eu.org/index.php?option=com_content&view=article&id=122:une-critique-de-la-video-l-largent-dette-r&catid=25:contributions&Itemid=28

    • La critique de la vidéo est intéressante, sauf que cette critique n’a pas vu dans la vidéo les petits connecteurs (points de départ) qui font "entrevoir" la source de la valeur (heures de travail = dollars...) et une critique (très voilée) du système dans son ensemble. La critique complète très bien la vidéo. Elle n’explique pas comment un "audit" (terme bien connu de tous) peut être mené par les citoyens (sur un pied d’égalité) et ne définit pas cette nouvelle classe historique appelée "les citoyens".